Les cheveux gris
Les cheveux gris
Pas d'humour aujourd'hui. Pas de blagues, pas d'enigmes et pas de Code de la consommation. Pas de pub Nestle avec Maurice le petit poisson rouge ni de sketch façon Florence Foresti. Rien de tout cela mais un grand coup de gueule.
Hier soir je n'avais pas sommeil. J'aurais pu en profiter pour écrire mais voilà, en ce moment l'inspiration me boude. Que pouvais-je faire en attendant que le sommeil me gagne ? J'ai pris la télécommande du téléviseur et j'ai commencé à zapper d'une chaîne à l'autre. Il n'y a pas grand chose à voir passé une certaine heure et même avant d'ailleurs ! Regarder et écouter les derniers clips ? bof ! Pas très envie. L'émission chasse et pêche, très peu pour moi, je ne chasse ni ne pêche. De zapping en zappage je finis par poser ma télécommande en ayant arrêté mon choix sur une rediffusion. Le sujet traitait des personnes agées.
Non seulement je n'arrivais pas à dormir mais je n'ai pas trouvé le sommeil après. Comment le pouvais-je ? Mon esprit a commencé à se ballader et je me suis projetée dans ces années futures où mes cheveux deviendront gris et mon corps faible. Cela m'a fait peur.
Je ne cessais de penser à ces dos voûtés, à ces mains ridées et à ces regards en demande. En demande de quoi ? De considération tout simplement.
Avez-vous déjà plongé vos yeux dans ceux des octogénaires qui nous entourent ? Ils semblent dire : "nous aussi nous avons beaucoup à dire et à penser mais plus personne n'y croit".
Dedans ils sont comme nous. Dedans il y a la vie. Seule leur enveloppe a changé et leurs gestes sont plus lents. Et à cause de cela, ils sont relégués au rang de "has been" ou de vieux croûtons. Comme s'ils n'avaient jamais existé, comme s'ils ne méritaient pas que nous les écoutions.
Parfois il leur est reproché d'être arriérés, d'avoir la "comprenette" un peu lente ou de ne pas faire l'effort de faire attention. Faire attention à quoi ? A ces petits merdeux qui les bousculent ou les agressent ? A ces pseudos intellectuels, qui forts d'une vanité que seule leur connerie égale (pardon pour le mot), leur jettent leur pseudo savoir à la figure ? A ces enfants ou petits-enfants soudain un peu trop encombrés, qui ont l'oubli et l'ingratitude faciles ? A tous ces gens qui, quoiqu'ils fassent ou pensent, ne peuvent nier qu'ils viennent tous de ces personnes qui un jour, elles aussi, ont été jeunes.
Cela vaut peut-être la peine d'avoir la "comprenette" un peu lente. Cela leur permet ainsi de réaliser moins vite la bêtise humaine.
Bêtise humaine ? Cruauté parfois, lorsque certaines maisons de retraite, censées adoucir les dernières années de nos chères têtes à cheveux gris se montrent à tel point impatientes qu'elles oublient avoir à faire à des êtres humains. Pourquoi changer les draps ? De toute façon ils sont bien trop faibles pour se rebeller ! Pourquoi faire l'effort de servir un bonne viande ? De toute façon les dents ne suivent plus ! (Même si tel est le cas pour certains c'est loin d'être le cas pour tous !!!)
Un fauteuil près du radiateur, un petit châle ou un gilet, une émission télé pour les "endormir". Surtout pas de discussion, pas d'échange avec ces puits d'histoires dont les souvenirs auraient de quoi nous tenir éveillés des soirées entières.
Avez-vous remarqué comment on s'adresse aux personnes âgées parfois ? Comme si, d'emblée, il était évident qu'elles n'allaient rien comprendre. "Alors, elle va bien mamie aujourd'hui ?" "Elle ne finit pas son dessert mémé" ? "Elle n'a pas trop froid la p'tite dame" ?
Elle : elle a un nom. Elle a une histoire et des choses à dire. Elle a un cerveau et elle sait penser. Elle a un coeur avec plein de choses à l'intérieur : de l'amour et des attentions qu'elle a donnés et qu'elle peut encore prodiguer. Elle aimerait juste que nous essayions d'ouvrir le nôtre. Et si parfois elle n'entend pas toujours très bien, cela ne fait pas d'elle une débile profonde à qui l'on se croit obligé de parler à la troisième personne, en simplifiant nos phrases, voire en les écourtant.
J'ose à peine penser aux regards des autres. Mes cheveux seront gris un jour, puis blancs peut-être et je serai un peu plus faible. Mais, mes yeux continueront de voir, mes oreilles entendront ce que tous auront à dire, mon sens de l'humour n'aura pas disparu avec le temps, mon esprit sera vif, mon coeur n'aura pas cessé de battre et il sera capable des mêmes sentiments qu'aujourd'hui, j'aurai des envies, différentes sans doute, mais j'aurai des envies.
Mais que faudra-t-il alors pour prouver que je suis toujours en vie ? Un dentier à 50.000 €, un lifting tous les ans, de la D.H.E.A. à tous les repas, des implants de cheveux et une coloration bien noire tous les deux jours ? Juste pour ne pas leur faire peur ? Juste pour leur éviter le miroir du futur ? Si ETRE signifie PARAITRE : j'ai peur d'avance.